Paris, ces transports puants et en retard, sa foule, mon train-train quotidien gris et pressé… Mais tout n’est pas toujours gris…
Ce matin il fait froid, le toit des voitures est blanc et la rue est rythmée par le grattement des pare-brises. L’eau est encore gelée entre les pavés même si un pâle soleil se reflète avec force dans les dorures de la grille du château.
J’arrive à la gare, comme d’habitude un va-et-vient de personnes emmitouflées dans leurs vêtements d’hiver. Un homme passe avec le même sac à dos que mon Chti, il tient un gros tube en carton qui doit probablement contenir un poster ou une toile.
Le train arrive, glissant lentement sur les rails. J’attends à la porte arrière avant de m’engouffrer et de m’installer près d’une fenêtre. Les portes avant sont généralement plus longues à se vider des passagers descendant, petite ruse d’habituée. J’enlève mon écharpe, mes mitaines, mon poncho, je sors mon livre et je me plonge dedans.
Terminus, je m’arrache à regret de ma lecture et abandonne Roald Dahl dans son Hurricane en train de pourchasser six bombardiers allemands au-dessus de la Grèce. Je me lève quand, sur le carré de sièges en face de moi, un passager emberlificoté dans ses affaires interpelle un autre :
– Monsieur !
Celui avec le sac à dos à oublier son carton et il s’éloigne sans entendre l’appel. Je me penche vivement, me saisis du carton et part dans l’allée à sa poursuite…
– Je m’en charge !
Je le rejoins aux portes du train, j’arrête l’oublieux d’un tapotement de son carton sur son épaule. Il se retourne, écarquille les yeux, sourit et s’en saisit avec soulagement :
– Nom d’un chien ! Merci ! Merci beaucoup !
– Pas de quoi, votre voisin n’a pas pu vous retenir à temps
Je pointe en souriant derrière moi le bonhomme qui l’avait interpellé en premier lieu et qui nous sourit en retour. Nous nous souhaitons mutuellement une bonne journée et chacun se laisse emporter par la foule qui se rue dans l’escalier, telle un raz-de-marée puissant écartant tout sur son passage.
En bas des marches, un piano trône, « À vous de jouer ». Un homme aux cheveux gris est assis devant. Il a posé sa belle sacoche de cuir sous le siège. Il regarde timidement le clavier, faisant remonter dans sa mémoire les quelques accords durement appris dans son enfance. Il égrène quelques notes du bout des doigts, puis s’enhardie et réessaye plusieurs fois, tentant à tâtons de retrouver cette mélodie d’autrefois.
Les passagers qui attendent leur train, recroquevillés sur leur siège par le froid, lèvent les yeux et se tournent vers lui, une lueur joyeuse perce dans la lassitude des regards et un sourire naît au coin de leur bouche. Je passe les composteurs, je suis dehors.
Bonne journée à vous.