Je vous avais déjà parlé de notre rituel quotidien où nous nous appelons l’un l’autre à la sortie du boulot. C’est tellement dans mes habitudes, qu’il faudrait que je commence à me méfier sinon je vais gaffer…Gros, gros moment de doute ! Heureusement, ce n’est que deux minutes après que je n’ai eu l’appel de mon patron…
Étiquette : téléphone
« Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. »Le chêne et le roseau, Jean de la Fontaine.
Je peux râler, jurer, pester, soupirer, rouler des yeux exaspérée mais jamais, ô grand jamais, crier, protester, tempêter. En 5 ans de vie commune, le Chti ne m’a vu crier qu’une seule fois (sur des enfants qui mettaient Plume en danger). Autrement jamais une parole au-dessus de l’autre, il pourrait s’époumoner que le débit de mon petit filet de voix ne s’élèvera pas.
À cette impossibilité physique de crier, même si ma poitrine étouffe d’indignation, s’ajoute une maigre capacité à argumenter et à me faire comprendre. À croire que tout va trop vite dans mon esprit et que cela bouchonne à la sortie de mes lèvres en un bafouillage embrouillé et confus. Ceci sans compter mon formidable esprit de l’escalier : dans le feu de l’émotion, je suis toujours incapable de réfléchir posément et de répliquer intelligemment, le cœur emballé à folle allure.
Enfant, j’avais trouvé comme solution, pour résoudre les conflits, l’utilisation des poings et des dents. Après quelques claques bien placées aux matadors de la classe (il faut savoir rester féminine), je gagnais une année de tranquillité.
Aujourd’hui où je fais une tête de moins que tout le monde, suis costaude comme un petit doigt (et accessoirement suis sensée être devenue civilisée), je ne sais pas me défendre. Face à un reproche injustifié, j’essaye juste de me tenir droite face aux déferlements d’accusations, faible moyen de conserver un semblant de dignité. Cachant de mon mieux mes genoux qui tremblent de courroux, la rougeur d’humiliation qui monte à mes joues et les larmes qui s’accumulent à mes yeux, je bafouille bêtement et me ridiculise attendant de trouver un moyen de fuir.
Je suis encore furieuse que ce type m’ait touché, son discours et son argumentation ne tenaient pas debout et je le savais alors, comme je sais que c’est uniquement (et en toute objectivité) un vieux con (qui avait pris comme comparse un poivrot). Ne pas avoir su le lui prouver, ne pas avoir pu défendre ma position, ne pas lui avoir claquer son bec me rend folle de rage…
Il y a des gens qui sont à l’aise en société en toutes circonstances, leurs sous-vêtements sur la tête que ces gens s’en sortiraient mieux que moi en société ! Les simagrées, les rodomontades, les génuflexions diplomates, je ne sais pas faire ! Et c’est encore pire au téléphone !
Mais bon… Ne le dites pas à mon patron, il n’est pas encore tout à fait au courant et d’ici là peut-être que ça se soigne ?
Quand le Chti est sorti avec moi, il a rapidement compris qu’avoir une copine coûtait cher. Très cher. Son solde de forfait était de 180€ le 21 juin et il ne m’a fallu qu’un mois pour descendre la somme et l’obliger à recharger… Ma mère devant l’ampleur de mon addiction a eu l’intelligence de me changer de forfait pour avoir une ligne illimité entre nous.
Libéré de la contrainte du forfait, nous ne nous quittions plus. Chaque matin, il partait à l’école (ou au stage) le téléphone vissé à l’oreille tandis que je me réveillais dans mon lit suspendue à ses lèvres. Pas réveillés, mal lunés, fatigués, extatiques, fâchés, enthousiastes, déprimés, quelque était notre humeur, ce rituel était essentiel pour commencer la journée. Mais aussi essentiel était le coup de fil du soir pour terminer la journée. Une fois les ordinateurs éteints, nous nous endormions reliés par nos téléphones, parfois sans parler, juste heureux d’entendre le souffle de l’autre, juste heureux de savoir que l’autre était là. Le dernier réveillé coupait la ligne.
Bref, nos portables pendant 3 ans ont été centraux dans notre relation à distance, juste derrière Internet. Ils compensaient l’absence et le manque. De cette période nous avons gardé certaines habitudes comme se prévenir quand on quitte le boulot le soir.
Sauf que nos horaires étant décalés, on tombe parfois comme une co un cheveu sur la soupe…
Je comprenais rien de rien, la voix était distante et son charabia de boulot est du chinois pour moi; mais j’étais toute contente de pouvoir l’entendre, toute curieuse de l’écouter parler à ses collègues. Il est rarement très sérieux avec moi, je le découvrais sous un angle professionnel. Bref je suis redevenue l’ado amoureuse suspendue à son portable.
Et comme il y a 3 ans où nous nous sommes mutuellement fait des perles au téléphone (c’est ainsi qu’il a su avant même de passer une nuit avec moi que je gémissais en dormant). La fin de l’histoire vaut son pesant de moutarde:
Il m’a raccroché au nez le petit cochon !! Même si d’après lui il m’aurait dit qu’il terminait sa conversation pro et qu’après il me rappelait mais soi-disant avec mes manœuvres pour mettre mon casque j’aurais rien entendu. Fi !