Avant ce voyage, la plupart de mes connaissances de la Chine me venait de la lecture des aventures de Tintin dans le tome Le Lotus Bleu. Une image un peu vieillotte et bien périmée, surtout dans un pays en mutation aussi rapide.
Pour moi la Chine se résumait presque uniquement à la réplique-culte « Lao-Tseu a dit, il faut vous couper la tête ! » (à prononcer avec une voix nasillarde de préférence) et à une multitude de pousse-pousses.
Et pour ce second point, je dois avouer que je n’ai pas été déçue. Pas déçue du tout même ! Des pousses-pousses, il y en avait partout ! Surtout à Beijing autour de notre hutong. C’était même à dire vrai une pure plaie pour le Chti et moi. Avec nos gueules de métèques, de juifs errants, de pâtre grec ♫ de caucasiens, nous sentions bon le client et étions en permanence interpellés, voir suivis dans la rue. Devoir se retourner tous les trois pas pour décliner poliment avec le sourire l’entreprenant, puis le solliciteur suivant et encore le suivant, était super lassant (pour rester polie).
7 jours durant nous avons donc décliné leurs propositions. L’idée de nous faire tirer par un type en vélo comme des sacs à viande nous gênait trop. Cependant ce n’était pas la seule motivation de notre refus. En effet au bout d’une journée en Chine, nous avions complètement intégrer leur code de la route : le bus et le camion écrasent la voiture, la voiture écrase la moto ou la mob, la moto ou la mob écrasent le vélo, le vélo écrase le piéton et le piéton quand à lui essaye juste de survivre au milieu de tout ça.
A Paris, c’est un duel: le piéton se met devant la voiture et la toise de haut tandis que la voiture ralentit ou le contourne en maudissant ce retardateur. En Chine, c’est un massacre : le piéton ne court pas assez vite devant la voiture, il se fait rouler dessus ! Avec mes vilaines habitudes de Parisienne, j’ai voulu jouer à kikiresteledernier avec un bus. J’ai perdu. Le Chti m’a tirée en arrière tandis que les passagers du bus criaient à travers la vitre et me faisaient des signes. Le chauffeur de bus n’a ni freiné, ni tenté de me contourner, c’est limite s’il n’a pas mis en route les essuies-glaces pour nettoyer après l’impact…
En tant que piéton, tant que l’on reste sur le trottoir, on est à peu près en sécurité. Il faut juste se plaquer contre les murs à chaque klaxon poussif, à chaque grincement de vieux vélos. Si vous êtes assez rapide, presque pas de danger. Mais en vélo c’est autre chose, si la majorité des routes ont de belles (vraies) voies cyclables, les croisement sont effrayants entre les véhicules motorisés et les vélos. Une jungle sans pitié.
Alors prendre une petite nacelle sur roues avec trois bouts de métal tenant un tissu pour protéger du soleil et de la pluie, très peu pour moi ! Je ne suis pas un cheval, les œillères ne fonctionnent pas avec moi, je tiens à la vie !
Vous m’avez compris, il a vraiment fallu que nous soyons désespérés à l’idée de rater notre train pour revenir sur notre résolution et être prêts à prendre un pousse-pousse pour rejoindre la gare de Suzhou. J’étais en train de m’user les yeux à comparer les idéogrammes de mon plan et ceux des 200 arrêts de bus de 10 lignes de bus différentes quand le pousse-pousse s’est présenté. Le Chti et moi échangeons un regard, c’est entendu, on est prêt à tout pour rentrer !
Je montre au chiffu notre destination sur le plan, craignant qu’il nous dise que c’était trop loin. Il regarde, hoche la tête et nous dit 5 de la main puis 0 (à la chinoise, qui ressemble beaucoup à la française heureusement, les cinq doigts tendus puis en forme de O). Nous grimpons dans le pousse-pousse. Avec les sacs et mes grosses fesses c’est étroit. C’est parti. Le vélo s’ébranle lentement. Il semble peiner. Nous nous sentons comme des touristes bêtas et impotents, on ne sait plus trop où se mettre. Le vélo prend de l’élan. Le chiffu est prêt à tout risquer pour éviter de freiner et de devoir redémarrer. Le soleil tape toujours très fort, il sue sous sa casquette. On a vraiment pitié pour lui.
Le Chti me demande si on va bien au bon endroit. Confiante je lui dis que oui, que j’ai montré la gare sur la carte au chauffeur. Le Chti regarde ce que je montre du doigt. « Aki, tu as montré la gare routière… Pas ferroviaire ». Oups… Au premier arrêt du vélo, je tapote l’épaule du chiffu. Il se retourne, je lui montre la bonne gare. Il me fait OK de la tête et me fait 6 de la main (à la chinoise, en France ce signe veut plutôt dire je te téléphone).
C’est reparti, cette fois vers la bonne destination. Heureusement que le Chti me connait bien… Douloureusement le vélo avance. L’heure tourne. Progressivement le vélo prend un nouvel élan vite brisé par une violente côte. Le chiffu plie sa casquette dans sa poche. Il luit de sueur. Il attrape sa gourde de thé et boit goulûment. Nous souffrons pour lui, on aimerait descendre pour l’aider à pousser, voir relayer à la pédale. Il descend de la selle et hisse le pousse-pousse en tirant une hanse latérale. Nous arrivons au sommet du pont. Il regrimpe sur sa selle.
À la sortie du pont, la piste cyclable s’engouffre dans un tunnel. Le chiffu essaye de gagner le maximum de vitesse possible. Nous ressortons de l’autre côté. Il faut remonter la pente. Debout sur ses pédales, le chiffu peine à nous faire avancer. Nous arrivons au milieu d’un carrefour énorme. Autour de nous deux grandes 8 voies se croisent. Les scooters et les vélos traversent dans tous les sens tels des abeilles agitées. Les voitures vrombissent, se préparant au feu vert. Et nous, on est là, au milieu. Le chiffu est penché sur son guidon, tendu dans l’effort.
C’est à ce moment que j’ai fermé les yeux, me suis serrée contre le Chti et j’ai attendu…
Une dizaine de minutes après, nous arrivons face à la gare. Il tire la barre de frein sous le cadran du vélo, le vélo grince et tremble puis s’arrête. Soulagés d’être vivants, heureux d’être à l’heure, honteux de lui en avoir tant fait suer, nous lui avons donné 100¥ en remerciement au lieu des 60 demandés (10€ au lieu de 6€) avant de courir à la gare attraper notre train où nous nous sommes (pour changer) affalés comme des paresseux !