J’ai choisi, les événements aidant, d’arrêter de travailler pour m’occuper un temps indéterminé de ma fille après sa naissance. En prenant cette décision je n’avais pas mesuré à quelle point j’allais passer dans un autre monde…
Mes journées étaient rythmées en heures travaillés/heures de repos, mes semaines étaient rythmées par les week-ends et mes années étaient rythmées par les si attendues vacances.
Mon espace était vaste, chaque jour je prenais le train pour Paris. Mes gares et mon quartier parisien n’avaient aucun secret pour moi, j’en connaissais tous les moindres recoins et tous les petits raccourcis. Je musais le nez au vent dans cette ville trépidante et vibrante, observant les tendances, les nouveautés. Je me fondais telle une petite ombre dans ce paysage parisien.
Aujourd’hui je suis passée dans un monde où le temps est flou : je sais à peine quelle jour nous sommes dans la semaine, et je connais encore moins la date du jour, je me contente de retenir les mois. Mes seules repères sont les heures des repas de Lucie.
Spatialement ma bulle s’est réduite également autour de mon appartement, de la boulangerie et des parcs pour enfant. Je déambule dans cette zone connue et reconnue de Lucie, une zone arborée totalement déconnectée du monde, un terrain de jeu formidable pour une enfant qui découvre.
Je n’étais pas retournée à Paris depuis 10 mois et plein de mes petits repères autrefois quotidiens avaient changé. Les travaux dans ma gare de départ ont avancé, mon train était un nouveau matériel aménagé différemment, des passages dans la gare avaient été fermées à l’arrivée, des raccourcis m’étaient interdis par des barrières bloque-poussettes. De bout du décor, je suis devenue une étrangère cherchant quelques bouts de nostalgie.
Plus frappant encore, je n’étais pas retournée dans mon quartier depuis les attentats de novembre 2015, des « mesures » (comme les politiques aiment dire) ont été prises par certains organismes : ainsi la cour de récréation arborée que j’aimais tant regarder à travers sa grille pendant mon trajet est maintenant dissimulée derrière un haut mur de métal. Même histoire pour mon ancienne fac, j’y faisais toujours un petit tour quand je passais devant mais ce matin un gardien contrôlait à la porte les identités des étudiants et professeurs, derrière lui de nouvelles barrières étanches bloquées des lieux autrefois ouverts.
Curieuse impression pour moi de voir ces murs se dresser autour d’espaces autrefois ouverts, car si je suis déconnectée, le monde semble (lui) continuer de tourner follement.